11/03/2020
Sissi Farassat et Erwin Polanc : contours de la présence
Les deux photographes se répondent là où au silence de l’effusion enfouie dans langage de muets désirs surgissent des équilibres fragiles. Transparaissent (ironiquement chez Farassat et plus gravement chez Polanc) la crainte, la blessure d'être mais aussi un espoir.
S’éveille aussi le choc de ruptures. Il s'agit d'arracher ou de retirer l’écharde du réel là où suinte le cri du creux de la chair et où s’étiole l’esquisse d’un impossible phrasé où la parole s’épuisait. Les images froissent certaines failles afin que, à la poussière des chutes, fasse place un chant encore entravé.
Existent des tournoiements, des retournements contre ce qui broie les femmes et plus généralement le monde. D’impudiques ripailles semblent soudain des possibilités. Si bien que les deux photographes cicatrisent des failles et créent d'infimes effractions afin que se scellent des chimères. Et ce, par ricochet contre des amputations et les turbulences morcellées d'anatomies en instance d’être. Elles pourraient ne plus s'égarer dans leurs écartèlements
Jean-Paul Gavard-Perret
Sissi Farassat / Erwin Polanc, Fotohof, Salzburg, du 10 avril au 6 Juin 2020. (Photos 1 et 3 Polanc, Photo 2 Farassat)
09:53 Publié dans Culture, Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
09/03/2020
Norbert Bisky : le bal des héros
Norbert Bisky assume et revendique ce corps gay comme glorieux. Ce sujet érotisé du "même" est présenté sans le faire tomber dans la moindre obscénité. La peinture évoque l'importance de fibres musculaires en s'amusant de tous les codes homos avec une jouissance joyeuse. La scénarisation tient de l'exhibition et de la revendication des stéréotypes de puissance là où les noctambules berlinois ou d'ailleurs brûlent de leurs feux.
De magnifiques éphèbes la peinture célèbre le "récit plastique". Et de tels héros intiment au regardeur l'obligation d'être "ravis" en des scénarisations presque "obligées" où il peut glisser. Il n'est donc plus question de couler du verre autour de tels corps pour en faire ceux de défunts momifiés.
Bisky reprend la "corporéité" à pleines mains loin du repli de l'imaginaire. Le corps renvoie - non sans humour - à une gloire "céleste" de l'image éloignée de toute vision sulpicienne du corps. La figure masculine devient celle des héros d'aventures et de guerres en une célébration païenne. Emergent le réalisme de la nuée déchirée et de la clarté déchiffrable car libre.
Jean-Paul Gavard-Perret
Norbert Bisky, «Desmadre Berlin», Galerie Templon, Grenier Saint-Lazare, Paris, du 14 mars au 9 mai 2020.
10:58 Publié dans Culture, France, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Henri Michaux : phénoménologie de l'écriture
Michaux ne cesse de reprendre et corriger sans cesse son langage en un déferlement au nom d'une question majeure : "Qui n’a voulu saisir plus, saisir mieux, saisir autrement, et les êtres et les choses, pas avec des mots, ni avec des phonèmes, ni des onomatopées, mais avec des signes graphiques ?" Le poète veut lutter contre les étouffements en creusant syntaxe et mots. Il rêve un langage ouvert et proliférant en abîme de sens.
Et si pour lui toute langue reste "inidentifiable", contre son corps mort, il cherche celui qui, vivant, parle autrement en ses engrenages, ses grains et s'éloigne du granit statufié du logos des docteurs et des maîtres. Michaux invite à entrer dans la genèse de son œuvre de combat contre les formes existantes. Il veut sortir une masse enfouie quelque part, grâce à l'accouplement de la pensée et de l'écriture pour permettre à l'esprit de flotter sur des eaux nouvelles.
Jean-Paul Gavard-Perret
Henri Michaux, "Saisir", (nouvelle édition), Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2020, 112 p.
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