12/08/2014
Celle qui a renoncé au monastère et qui aime la Suisse : entretien avec Irina Rotaru.
Irina Rotaru ramasse le chagrin ou le sourire qui tombent pour les transformer en rire. Elle traverse l’art du temps telle une passagère clandestine. Ses dessins sont souvent érotiques mais l’artiste n‘a pas vendu son âme à la luxure. Le rire sexuel qu’elle ose est parfois au bord des larmes. Mais ses femmes veulent que leurs flammes restent de glace et que leur neige se transforme en brasier. Quant aux hommes ils ne se séparent jamais d’eux-mêmes, de leur singe savant et leur cordon ombilical. Dans tous les cas en de tels dessins c’est le silence qui parle. Bref Irina Rotaru montre ce qui dérage : l’autoérotisme, l’amour tarifé (où la soumise n’est pas celle qu’on croit) et la pure dépense. Ses dessins connaissent le tranchant des incisives mais les caressent de l’intérieur. Ce sont un langage codé qui n’a plus besoin de mots.
JPGP.
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Le réveil
Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Les prémisses de l'imagination
A quoi avez-vous renoncé ? Au monastère
D’où venez-vous ? D'Allemagne et de Roumanie
Qu'avez-vous reçu en dot ? Une blague avec une tortue que très peu comprennent
Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? Un chien
Un petit plaisir - quotidien ou non ? Du chocolat, une banane
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? Tout
Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous interpela ? Un poster dans la chambre de mes parents avec le tableau Sybille de Clèves de Cranach l'Ancien
Et votre première lecture ? « Le Château » de Kafka
Comment pourriez-vous définir votre travail sur le corps féminin ? Je suis une femme quand je dessine le corps masculin, je suis un homme quand je dessine le corps féminin
Quelles musiques écoutez-vous ? Une question très personnelle, la liste serait trop longue
Quel est le livre que vous aimez relire ? « La Danse de mort » d’August Strindberg
Quel film vous fait pleurer ? « L'année des treize lunes » de Fassbinder
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? E.T.
A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? A quelqu'un dont je n'ai pas l'adresse
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? La Suisse
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? Ceux qui étaient ou qui sont dans une évolution constante
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Un grelot
Que défendez-vous ? L'humour
Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? Que l'art et l'amour c'est pareil
Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" Diarrhée intellectuelle
Quelle question ai-je oublié de vous poser ? Y a-t-il seulement des mauvaises réponses ou y a-t-il aussi des mauvaises questions?
Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret le 10 août 2014.
14:47 Publié dans Culture, Femmes, Images | Lien permanent | Commentaires (4)
28/07/2014
Trix et Robert Haussmann couple infernal du design
Trix & Robert Haussmann, Fri Art, Fribourg Les Editions B2 propose le premier ouvrage en français sur les designers incluant une interview par Béatrice Schaad et le manifeste « Manierismo Critico ».
En 1967 le couple Trix et Robert Haussmann créa à Zurich son propre bureau d'aménagement, d'architecture d'intérieur et de design industriel. Contre tout un formalisme de l’époque ils théorisent le «manierismo critico» proche de design expérimental italien fondé à la fois sur l’utilisation déroutante des matériaux et le maniement de l'illusion, de la métaphore, de l'ambiguïté. Ils sont célèbres pour leurs «pièces didactiques» qui vont des petits objets utilitaires à l'urbanisme et la construction et la modernisation de bâtiments. Ils demeurent connus mondialement pour leurs différentes chaises-néons, armoires-colonnes, leur bureau-pont et leur fameuse chaise «en liquéfaction » qui perturbe sa forme comme sa fonction. Déroutant toute une modernité les deux créateurs la prirent de revers et n’ont pas changé : ils demeurent de « doux dingues » qui perturbent avec ironie et drôlerie les perceptions et les réflexes acquis.
Soumise au solennel comme à l’humour la réalité est soudain travestie par la présence à la fois fine ou poisseuse de tels objets fantômes énigmatiques. Surgit contre tout effet lyrique une grâce resserrée et habile capable de créer des exaltations inattendues, aussi magnétiques que burlesques. Trix et Robert Haussmann n’ont cessé de créer des garde-à-vous ridicules mais parfois aussi très imposants qui font de leurs objets de véritables statues. Ils obligent à troquer le pratique pour l’inconfort. Cela permet de se dégager de l’implacable fixité du regard de Méduse que chacun porte en lui. Comme les chaises des deux designers le regardeur ne sait parfois sur quels pieds danser. Manière de répondre à l’injonction de Pline l’ancien : « Tous les animaux commencent à marcher du pied gauche. Les autres comme ils en ont envie ».
Jean-Paul Gavard-Perret
10:26 Publié dans Culture, Images, Suisse, Techno | Lien permanent | Commentaires (0)
21/07/2014
Magali Koenig l’image et son double
Il y a du Jim Jarmusch dans la manière dont Magali Koenig saisit le réel en noir et blanc ou en couleurs et parfois dans une mise en abîme de l’image où un poste de télévision allumé troue le paysage telle une page incongrue sur une réalité qu’elle « exploite ». Bloquant par ses prises l’image télévisuelle (qui par essence n'est faite que pour passer dans son royaume éphémère) l’artiste situe la photographie en un geste particulier. Cette présence propose du spectacle dans les paysages. L'usine à rêves interfère au sein de la machine à rapporter du réel qu’est la photographie. La présence télévisuelle brouille donc les limites du monde visible.
Certes Magali Koenig n’est pas la première à interroger le statut de « fenêtre » de l’image. Mais grâce à elle, elle devient grille visuelle entre néoréalisme et onirisme de manière poétique par la structure même des oeuvres de la Vaudoise. Il existe là une coupure de l'espace dans le sens de la longueur. Il instruit toute une manipulation de l'espace entre horizontalité et verticalité là où le réel échappe au réel, l’image à l’image dans une déconstruction simple mais efficace. Celle-ci pousse à déchire des voiles par de multiples « accrocs ».
Jean-Paul Gavard-Perret
11:15 Publié dans Culture, Femmes, Images, Vaud | Lien permanent | Commentaires (3)