18/08/2014
Barbara Cardinale : Eve et la bête
Barbara Cardinale il y a quelques années a publié « Partir d’elleS » (Editions art&fiction). En 13 nouvelles elle y développait des histoires d’amours lesbiennes conjuguées à travers divers situations (coming-out, dîner chez une ancienne amante) et des personnages types (la prédatrice des boîtes gays, la mystérieuse inconnue). Le tout non sans humour et parfois envolées quand le « plan » le permettait. Ces portraits de femmes ont trouvé dans l’art plastique une autre perspective : l’incompréhension, la maladresse la rigidité, le séduction passe par la métaphore animale plus ou moins codée. Des lapines épiques affectent le regard de manière sobre sans affectation condescendante ou symbolique marqué. Dessiner ce bestiaire humain revient moins à pratiquer le travail du deuil ou de la renaissance mais celui de la ressemblance. Il ne s’agit pas de passer de l'idéalisme métaphysique à l’abîme bestial mais de rappeler de quoi le corps et l’âme sont habités. Parfois néanmoins
Barbara Cardinale revient au corps tel qu’il est : mais sa conflagration avec les corps animalisés transforment sa vision. L’artiste prouve combien dans toute Pierrette d’amour se cache la truie qui sommeille. Chez chaque être l’âme est soluble dans le suint : mais l’inverse est tout aussi vrai. Dès lors le bestiaire permet de tatouer l'identité moins pour la marquer que de la soulever. Le risque de sa féminité est dicté à travers une imagerie qui exclut la coagulation des fantasmes au profit de fantômes à l’incompréhension sidérante. Ne reste alors que le trou de la "nuit sexuelle" : l'artiste ne la cache pas dans de plans qui se veulent translucides. Elle préfère celle où les animaux persistent. Elle ne cesse les aiguillonner pour en accentuer museaux et griffes. Bref les bêtes fabriquent des perspectives que nous voulons ignorer. Femmes ou hommes qu'importe. Pas besoin de marteau de forgeron ou de scalpel de chirurgien. « Faire dessin » suffit.
Jean-Paul Gavard-Perret
De l'artiste : "Garde", éditions Ripopée à Nyon.
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12/08/2014
Celle qui a renoncé au monastère et qui aime la Suisse : entretien avec Irina Rotaru.
Irina Rotaru ramasse le chagrin ou le sourire qui tombent pour les transformer en rire. Elle traverse l’art du temps telle une passagère clandestine. Ses dessins sont souvent érotiques mais l’artiste n‘a pas vendu son âme à la luxure. Le rire sexuel qu’elle ose est parfois au bord des larmes. Mais ses femmes veulent que leurs flammes restent de glace et que leur neige se transforme en brasier. Quant aux hommes ils ne se séparent jamais d’eux-mêmes, de leur singe savant et leur cordon ombilical. Dans tous les cas en de tels dessins c’est le silence qui parle. Bref Irina Rotaru montre ce qui dérage : l’autoérotisme, l’amour tarifé (où la soumise n’est pas celle qu’on croit) et la pure dépense. Ses dessins connaissent le tranchant des incisives mais les caressent de l’intérieur. Ce sont un langage codé qui n’a plus besoin de mots.
JPGP.
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ? Le réveil
Que sont devenus vos rêves d’enfant ? Les prémisses de l'imagination
A quoi avez-vous renoncé ? Au monastère
D’où venez-vous ? D'Allemagne et de Roumanie
Qu'avez-vous reçu en dot ? Une blague avec une tortue que très peu comprennent
Qu'avez vous dû "plaquer" pour votre travail ? Un chien
Un petit plaisir - quotidien ou non ? Du chocolat, une banane
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ? Tout
Quelle fut l'image première qui esthétiquement vous interpela ? Un poster dans la chambre de mes parents avec le tableau Sybille de Clèves de Cranach l'Ancien
Et votre première lecture ? « Le Château » de Kafka
Comment pourriez-vous définir votre travail sur le corps féminin ? Je suis une femme quand je dessine le corps masculin, je suis un homme quand je dessine le corps féminin
Quelles musiques écoutez-vous ? Une question très personnelle, la liste serait trop longue
Quel est le livre que vous aimez relire ? « La Danse de mort » d’August Strindberg
Quel film vous fait pleurer ? « L'année des treize lunes » de Fassbinder
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ? E.T.
A qui n'avez-vous jamais osé écrire ? A quelqu'un dont je n'ai pas l'adresse
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ? La Suisse
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ? Ceux qui étaient ou qui sont dans une évolution constante
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ? Un grelot
Que défendez-vous ? L'humour
Que vous inspire la phrase de Lacan : "L'Amour c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas"? Que l'art et l'amour c'est pareil
Que pensez-vous de celle de W. Allen : "La réponse est oui mais quelle était la question ?" Diarrhée intellectuelle
Quelle question ai-je oublié de vous poser ? Y a-t-il seulement des mauvaises réponses ou y a-t-il aussi des mauvaises questions?
Entretien réalisé par Jean-Paul Gavard-Perret le 10 août 2014.
14:47 Publié dans Culture, Femmes, Images | Lien permanent | Commentaires (4)
28/07/2014
Trix et Robert Haussmann couple infernal du design
Trix & Robert Haussmann, Fri Art, Fribourg Les Editions B2 propose le premier ouvrage en français sur les designers incluant une interview par Béatrice Schaad et le manifeste « Manierismo Critico ».
En 1967 le couple Trix et Robert Haussmann créa à Zurich son propre bureau d'aménagement, d'architecture d'intérieur et de design industriel. Contre tout un formalisme de l’époque ils théorisent le «manierismo critico» proche de design expérimental italien fondé à la fois sur l’utilisation déroutante des matériaux et le maniement de l'illusion, de la métaphore, de l'ambiguïté. Ils sont célèbres pour leurs «pièces didactiques» qui vont des petits objets utilitaires à l'urbanisme et la construction et la modernisation de bâtiments. Ils demeurent connus mondialement pour leurs différentes chaises-néons, armoires-colonnes, leur bureau-pont et leur fameuse chaise «en liquéfaction » qui perturbe sa forme comme sa fonction. Déroutant toute une modernité les deux créateurs la prirent de revers et n’ont pas changé : ils demeurent de « doux dingues » qui perturbent avec ironie et drôlerie les perceptions et les réflexes acquis.
Soumise au solennel comme à l’humour la réalité est soudain travestie par la présence à la fois fine ou poisseuse de tels objets fantômes énigmatiques. Surgit contre tout effet lyrique une grâce resserrée et habile capable de créer des exaltations inattendues, aussi magnétiques que burlesques. Trix et Robert Haussmann n’ont cessé de créer des garde-à-vous ridicules mais parfois aussi très imposants qui font de leurs objets de véritables statues. Ils obligent à troquer le pratique pour l’inconfort. Cela permet de se dégager de l’implacable fixité du regard de Méduse que chacun porte en lui. Comme les chaises des deux designers le regardeur ne sait parfois sur quels pieds danser. Manière de répondre à l’injonction de Pline l’ancien : « Tous les animaux commencent à marcher du pied gauche. Les autres comme ils en ont envie ».
Jean-Paul Gavard-Perret
10:26 Publié dans Culture, Images, Suisse, Techno | Lien permanent | Commentaires (0)