06/02/2019
Moskovtchenko : le sujet et sa matière
D'ascendance russe par son père médecin et française par sa mère pianiste et peintre, Michel Moskovtchenko, né à Tarare imprime dès l'enfance ses première linogravures. Discret - trop sans doute - l'artiste mêle toujours le sujet à la matière, la forme au fond. Il fut et reste un des initiateurs de la "Nouvelle subjectivité" à travers ses sculptures et dessins toujours tourmentés et rugueux. Ils et elles caractérisent un langage plastique original.
Des oeuvres charnières balisent un parcours initiatique au coeur de la matière avec ce qu’elle contient de douleur, de violence et d'un érotisme larvé. Même dans les oeuvres les plus petites la grandeur n’est jamais annulée : Elle se respire. Et ce parce que Moskovtchenko se demande chaque jour ce qu’il peut encore risquer dans une quête qui a horreur des répétitions dont nous bassinent les faiseurs de futile qui transforment leurs travaux en machines à sous.
Et si dans une telle recherche l’angoisse perdure elle appartient à un autre ordre que celui du risque de la dévoration. La sculpture - parce qu’elle est trajet avant d’être objet - n’est plus seulement la mante religieuse qui attaque en séduisant pour provoquer panique, effroi et dévotion. La fascination existe, mais elle invite à aucun sacrifice mais pas plus à l’adulation. Elle provoque une sorte d’abandon et de méditation. L’être peut s’engager au dedans de la sculpture comme du dessin, la pénétrer du regard. Le regardeur n’est plus réduit à une contemplation de façade. Il découvre une autre façon de voir et - qui sait? - d'échapper à ses pensées culs-de sac là où s'offrent des espaces et des vies que jusque là nous n'imaginions pas ainsi.
Jean-Paul Gavard-Perret
11:26 Publié dans Culture, France, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
03/02/2019
Le La du Les : Anna Bambou
"Les" Anna Bambou se mèlent à l'image de leur modèle. Elles ont eu envie de prendre sa place. De savoir ce que cela faisait d’être une autre femme, avec cette voix monotone et ces yeux d’une incomparable tristesse. Tout pourtant semble reprendre place. Mais un étrange ménage à trois se met toujours en place : il y a les deux femmes qui se font face - l'une écrit l'autre pas - mais aussi l'ombre de celle qu'elles cherchent. Parfois - comme ce 3 février 2019 - l'écriture se fait lasse et les images sombres ;:"Le temps passe, je broie du noir, je touche presque le fond, je me relève, encore, toujours, d’espoir, d’envie, de désir. Je me promène sur la plage, je regarde la mer, j’implore un signe, je fais une prière… je fais quelques pas, la réponse est là : une énorme libellule vole lentement devant moi". Ce qui est rare à cette saison.
Mais tout arrive alors comme si la beauté de certains oiseaux n'était visible que depuis une cage. Le temps qui a passé n'est même plus une excuse et les trois femmes vivent sans qu'elles le sachent sous un même ciel ou sous un même toit. Si bien que la vérité de l'amour devient dans ce roman photographique, en ce roman de gare une collection de choses incroyables. La persévérance est pour la photographe l'échelle atteignant le ciel même si une fois touché il semble fait de poussière et d'égarements.
Mais c'est alors un mal nécessaire, un pont de pierre. De ceux que les amantes franchissent fortes de ce qu'elles ont dans le coeur lorsque le désir les traverse. Preuve que parfois, pour le passer, il faut fermer les yeux.
16:32 Publié dans Culture, Femmes, France, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
02/02/2019
Jordan Sullivan : sidérations en épures
Jordan Sullivan donne sa propre réinterprétation du paysage entre le désert et la mer. Il rassemble après "After the Funeral" et dans ce second livre 41 images tirées des déserts de la Californie, de Trinidad et Tobago et de la côte danoise. Le photographe offre sa plénitude à de tels paysages qui a priori pouvaient s'en passer.
Mais le support géographique n'est qu'un prétexte à une entreprise plus ambitieuse. Et les oeuvres nous portent là où les jambes ne sauraient le faire. Preuve que la beauté de certains lieux est moins visible dans la cage du réel que dans de telles transpositions.
Les lieux réels ou saisis sont sous un même ciel mais ils ont chacun le leur. Et la photographie devient un miroir particulier. Il creuse la structure du paysage au moment où le roc n'est plus porteur de cité mais de solitude. Elle devient ici la dame capricieuse qui permet au cadre de n'avoir de portrait que lui-même. Ce qui n'empêche pas d'y franchir ce que chacun a dans ou sur le coeur.
Jean-Paul Gavard-Perret
Jordan Sullivan, "Hallucinations", Jane & Jeremy publishing, Londres, 2019.
19:30 Publié dans Culture, Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)