20/11/2016
Des montagnes et des profondeurs « clamavi » : Laurence Revey
Laurence Revey, « Le blues des Alpages & Alpine blues » (livre et CD), Editions d’En Bas, Lausanne, CHF 30, 25 E.., 2016.
Laurence Revey aime franchir frontières, limites et seuils afin de continuer l’incessant devenir de sa musique et de ses ponctuations textuelles. L’oeuvre maintient le néant à distance et relativise les « choses vues » en leur donnant plus de profondeur et de distance. La chanteuse valaisanne reste arrimée à sa terre tout en sachant s’imbiber des musiques foraines. Le ciel est plus gris chez elle que dans le « Deep-south », mais le blues devient une couleur une idéologie que l’artiste transpose dans les Alpes pour les nourrir d’autres racines.
Le livre album permet d’approfondir l’essence de ce travail et de son parcours. Il est déjà long : vingt ans de bourlingue dans son pays natal et bien au-delà, initiée par Pete Brown, poète rock de « Cream » qui l’emmena vers le rock anglais. Exit «Le Creux des Fées», place aux Alpages. Mais ils ne sont qu’une partie du « paysage » entre Mississippi, fjords et savanes africaines. D’où l’originalité d’une œuvre qui ne cesse de s’émanciper de ses fondamentaux. En réaffirmant sa volonté de ne rien renier Laurence Revey crée entre finesse et tension un mélange où diverses substances musicales s’homogénéisent à la recherche d’émotions toujours plus prégnantes.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:27 Publié dans Femmes, Musique, Suisse, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
19/11/2016
Agonies et castagnes : Alexandre Friederich et la revue "Toute la lire"
Né à Pully, Alexandre Friederich est un auteur majeur trop méconnu. Ecrivains des apocalypses il livre avec « Cassations » dans la revue « Toute la lire » un texte majeur. Face au mal « qui a ses formes spécifiques d’action » l’auteur ne l’exclut pas : il en fait son champ clos dans une écriture de combat et de témoignage qui rappelle les grands auteurs américains (Steinbeck et Dos Passos en tête).
Sorte de vieux beatnik Friederich parcourt les univers dévastés par les crises et la mondialisation. L’écriture est autant intime qu’expressionniste. Pas de logos ou de lyrisme. Mais l’esthétique des ruines et des périphéries. Les mots rebondissent là où la pensée heurtant le monde et sa misère ne lâche rien. Le propos est sociologique, politique et social mais avant tout poétique.
Là où la volonté de puissance et de profit des nantis fait refluer les mots des opprimés, Friederich les émet dans ce qui est autant une figuration du monde que sa métaphore et tout autant la prémonition d’un univers qui tétanise. Le « social cosmétique » des apparences est dégommé afin de suggérer comment la souffrance s’abat sur les humiliés. A l’image de tout ce qui est écrit dans la revue de « poégraphie » de Christian Désagulier et de Julia Tabakhova et hors de toutes théories, là où la moisissure ronge, les mots enflent : une tache nouvelle engrosse la littérature pour qu’elle soit un acte de résistance. Elle trouve ici une forme de sublimation.
Jean-Paul Gavard-Perret
« Tout la lire- n° 1 et 2 », éditions Terracol, 2016, 12 et 18 E..Voir le site www.editions-terracol.fr
15:21 Publié dans Lettres, Résistance, Vaud | Lien permanent | Commentaires (0)
18/11/2016
Intérieurs : Paul Graham, Paris 2015
Paul Graham, « Paris 11 15 Novembre 2015 », Mack, 2016
Pendant les attaques terroristes de Paris le 13 novembre 2015, Paul Graham se réfugie dans son appartement avec son amie et son jeune fils. En réponse à l’atmosphère étouffante de la ville il crée cette série de photos d’intérieurs comme s’il ne voulait voir ce qui était, dehors, insupportable.
Avec une rigueur géométrique et un rythme emprunté au silence les photographies invitent à la contemplation d’un intérieur troublé de l’extérieur juste par quelques rayons de soleil. Aux couleurs sourdes, dans des camaïeux de gris et de beige, répond la douce lumière qui joue sur les rideaux, les radiateurs, les meubles et les planchers. Rien n’est dit. Les compositions sont autant « réalistes » qu’évanescentes. Elles sont autant poétiques que "conceptuelles".
S’y déroulent une cérémonie secrète de recueillement développée en divers états d’une même prise Le pouvoir des images - tributaire pour Graham de l’histoire de l’art et d’une anthropologie visuelle - investit, bouleverse, convertir l’habituel pacte photographique sans s’affranchir des atmosphères, évocations et mises en scène du réel. Autant de données auxquelles il faut ajouter des résurgences iconographiques et thématiques qui soulignent des accointances souterraines avec la picturalité en réponse à la réalité et sans pour autant réduire la photographie à un sous-produit de la peinture. Ou du réel.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:17 Publié dans Images, Résistance | Lien permanent | Commentaires (0)