22/12/2014
Kosta Kulundzic et les femmes de tête
Les œuvres de Kosta Kulundzic sont des manières d'habiter les marges, d'inscrire les mirages, de célébrer la solitude. Marges, mirages et solitude représentent d’ailleurs la trinité dont les incessantes variations de tonalité font tout le « charme » d’une œuvre où les confidences autobiographiques alternent avec des analyses plus distantes sur l'amour, l’humiliation dont sont victimes depuis toujours les femmes. Il trouve à travers elles de quoi alimenter sa liberté de penser, sa passion de comprendre par les images. L’artiste n’a qu’un souci : faire tomber les masques à travers ses propres masques et mascarades. Il atteint une force qui permet de penser l’événement de manière plus profonde qu’une lecture anecdotique ou même historique. Chez lui la liberté rime avec passion et création, violence et légèreté. Il passe avec délectation du registre de la « pure » littéralité à celui de la fiction à travers les personnages qu’il met en scène.
Les femmes y reprennent le « beau » rôle. Elles sont les agissantes dans les meurtres qu’elles fomentent ou contemplent. Kosta Kulundzic revendique une subjectivité qui peut parfois choquer. Il s’en moque : il montre combien certaines figures sont abandonnées à une solitude irréductible. Et peu d'artistes donnent une idée aussi immédiate de la liberté iconoclaste. A travers son travail il fait de la morale en la tournant en dérision. A ce titre il est proche des libertaires (et non des libertins) qui firent de la liberté le risque même de leur idéal. Et même s’il sait que la liberté n'est qu'un leurre, un mot propice aux bouffées d'imaginaire et aux élans trompeurs, son travail fourmille de paradoxes stimulants mis en exergue par son goût du détail, de la couleur et de scénographies qui dépotent par leur fulguration.
Jean-Paul Gavard-Perret
07:10 Publié dans Femmes, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
21/12/2014
Anitipodes de Jacques Bélat
Jacques Bélat habite à Porrentruy en Suisse. Photographe indépendant et réservé il développe de manière originale le traitement de la proximité autant dans ses paysages que ses portraits. Natif du même village que l’écrivain Bernard Comment il a créé - pour son livre « Entre deux. Une enfance en Ajoie » - bien plus qu’une illustration iconographique. A elles seules les photographies de Bélat constituent un corpus rare. Il est coutumier du fait. Il le prouve avec "Arbres singuliers" comme Avec « L'Herbier du Docteur Butignot ». Les 40 fleurs séchées mises en à plat par le botaniste du siècle dernier prennent une nouvelle dimension. Du végétal pieusement conservé surgit une mise en valeur étrange et une sorte de supplément de vie. Ce que le temps sépare dans l’un et l’autre cas la photographie le réunit au sein de ce qui devient une enquête paradoxalement filée de l’humain à travers traces ou paysages.
Certes la photographie ne cicatrise pas l’usure du temps. Toutefois elle cristallise une continuité de ce qui tient à la défaillance du temps. Faute d'être proche du passé au sens d'une mitoyenneté, on en redevient néanmoins, par une telle œuvre, proche au sens d'une « rassemblance » et d’une ascendance. Bélat rapproche des éléments épars disjoints. Dans « Entre deux. Une enfance en Ajoie » la symétrie des espaces en répons crée entre le noir et le blanc une série de fractures-sutures. Elles permettent de retrouver une compacité d'ensemble face à l’altérité irrévocable du temps. De photos en photos deux constantes physiques s'assemblent : celle de l'irrégularité, celle de l'analogie. Ou si l’on préfère l'épars et l'homogène, le flux persistant et la dispersion insistante. Le texte fond dans l’image. A ce point limite il faut parler - grâce aux photos de l’artiste - d'un emboîtement en une mise en suspens .
Jean-Paul Gavard-Perret
09:27 Publié dans Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
20/12/2014
David Weiss : New-York Party
David Weiss, Swiss Institute de New-York, jusqu’au 22 février 2015, David Weiss, “Die Wandlungen”, Edition Patrick Frey, 2014.
Les images de David Weiss renvoient à l'inconscient barbare tout en cultivant l’humour. L’artiste reste un virtuose. Pour lui tout semble facile. Surgissent des spasmes telluriques d'un rite inaugural et coloré. Entre figuration et abstraction le Zurichois emporte vers des bouts du monde qu’il traversa jusqu’à sa mort il y a deux ans. De telles œuvres ailées viennent alléger toute peine. Le spectateur est donc confiant en leur fidélité. Dans leurs factures chaque instant devient l’aube d’une éternité parfaitement fraîche entre équilibre et déstabilisation. Les dessins sont les primitifs du futur et prouvent que le corps, toujours, nous échappe. Nous ne savons rien de son lieu et de ce qui s'y passe. Nous ne pouvons que constater sa danse à travers des indices subtils et ce afin de suggérer comment elle a prise sur nous et nous touche. L’art de David Weiss renverse les espaces charnels afin d’inventer ce type de rapports. Il est aussi un lieu de fouille et d'incarnation en un exercice de cruauté et de douceur paradoxale et fait passer d'un monde boîte à un monde oignon. Tout glisse dans l’œuvre du fermé à l'ouvert. La vie dérobe la mort par le jargon de l'authenticité d’un art qui recompose le monde par charges de vitalité, beauté, simplicité.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:29 Publié dans Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)