15/04/2014
Charles Weber et les vibrations
Charles Weber, « Lightscapes » 2000 – 2013, 22 mai - 30 juin 2014, Galerie Patrick Cramer, Genève
Une terrasse vider. Ou des hommes et des femmes debout. Les unes avec ou sans poitrine, les autres qui (sans doute) fantasment sur elles. Ils veulent les glisser encore toute habillées loin de leur peur. S’imaginent - soir venu - entrain de leur faire l’amour. Flot gelé d'étreintes sous feulements et courbes Lumière crue. Mais saisis par Charles Weber les corps ne prennent part au déséquilibre que de manière aporique. Il en va de même pour les paysages du Genevois. Aux lieux interlopes il accorde une poésie intense entre laps et guenilles.
Chaque photographie creuse des plis, remonte des orées, pointille la commensurable pour que se bredouille des appels des corps ou de l'espace - que celui-ci soit minéral ou non. La lumière parfois est sombre est belle. Celle de certains sud est phosphorescente. Le verbe être se conjugue à tous les temps mais surtout au présent quand les matins tâtonnent ou à l'inverse que le jour rejoint la lisière du soir.
Des mains se font agrumes le long d'un fleuve d'Amour ou l'espace demeure vide dans une Grèce qui n'a rien d'antique. Et c'est bien mieux comme ça. La photographie "parle" le temps, le monde, les retient en noir et blanc ou en couleurs. Elle devient étendue continentale ou maritime du chromatisme des voluptés comme d'architectures plus graves. Dans de telles prises la tête se perd. Ombre portée, ravinement géographique du désespoir, pamoisons muettes et spectrales créent des émotions rares. La lumière vibre. On se frotte à elle comme à une femme. Elle gémit doucement même si cette clarté est lointaine pourtant.
Jean-Paul Gavard-Perret
12:02 Publié dans Genève, Images, Suisse | Lien permanent | Commentaires (0)
Christiane Grimm : le dehors renversé
Christiane Grimm, « Still, the Film - Hors-Champ, Derborence », 4 avril - 25 mai 2014, Centre de la Photographie, Genève.
L’espace de la photographie devient parfois chez Christine Grimm celui du passage, de l’entre. Et pas seulement entre deux gares. « Je ne parviens à rien faire d’autre que vivre l’entre : entre-deux, entre temps » semble signifier l’artiste. Ses clichés captent le temps qui défile en images. Spacieux et fluide, décomposé comme soufflé par une mouvance presque abstraite il est fait de champs de pans et de lignes. Christine Grimm sonorise l’air et les éléments que la vitesse ou à l’inverse le statisme déconstruit pour les recomposer. Des vies inconnues, des paysages entrevus s’envolent. Le regard de la créatrice choisit le détail qui propose une prise épiphanique dans la plus grande simplicité. De telles présences créent une énergie légère, aérienne et cèdent où la ressemblance est remplacée par la séduction nécessaires de murs, de dérives de ciel aux pylônes de septembre.
La photographie épate même lorsqu’elle se floute afin de résilier l’anecdote. Elle désire avant tout ouvrir une fenêtre qui, à travers le monde que l’artiste fait entrer, lui donne vue, lui donne vie. Comme elle nous avons besoin d’un ciel, d’un bruissement. Car la conscience n’aime pas l’invisible, elle n’aime pas non plus se dissoudre, se confondre dans le pur néant. Il lui faut une présence. C’est pourquoi sans cesse chez Christiane Grimm une ère visuelle doit reprendre. A coups d’impressions, d’esquisses, de structures l’œuvre sous son apparent désir d’ « abstraire » va vers un espace qui ne peut se manifester que par le passage. Il y a là des trajets et des contre trajets. Tout est là non seulement dans l’étendue mais dans le mystère intime de l’émotion. Un « là » immense et intime. Ferme et fluctuant. Furtif et évident.
Jean-Paul Gavard-Perret
08:28 Publié dans Femmes, Genève, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
14/04/2014
Blow-up, le visible et le visuel
« Blow-up », Antonioni’s classic film and photography », Edition de Walter Moser et Klaus Albrecht Schröder, Hatje Cantz, 224 pages, 39,80 E.., 2014
« Blow-up » d’Antonioni est l’un des films majeurs de l’histoire du cinéma mondial. Celui de l’autrement et de l’outrement voir. Il se dresse contre le mensonge de l’image non en la dénonçant mais - paradoxe suprême - en montrant du dedans ce qu’elle cache et la myopie de celui qui la regarde. Antonioni prouve que la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle. Quant à celui qui lui fait face (qu’il soit acteur, mime, peintre, photographe, mannequin ou spectateur) il y mêle ses fantasmes, ses grilles de lecture, ses attentes.
Primé en 1966 sous les sifflets d’une critique interloquée tant il dérogeait aux canons de l’époque le film met en cause les pièges du visuel comme ceux du visible. Leur interaction à la fois nie et renforce la force de l’imaginaire en prouvant qu’il n’a pas une simple fonction d’irréel. « Blow-up » déchire l’image-voile d’où fusent les éclats invisibles du monde. L’image y affirme sa présence mais comme « n’étant pas toute ». Dans l’enquête filée (sujet aussi central que partiel du film) elle est surface de méconnaissance atteinte par une frénésie de lumière dans le mesure où le héros (photographe professionnel) la transforme en « épreuve » de vérité mais dont l’épiphanie sera neutralisée. « Blow-up » n’offre ni miracle, ni répit. Tout restera « en l’état », un état absurde dans l’interminable approche d’évènement mais non de leur certitude. Images « archives », images apparences cohabitent dans la quête à la fois d’images-fêtes et d’images-faits. Le film reste donc bien le monument cinématographique ouvrant la beauté à une attention particulière.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:54 Publié dans Images, Monde | Lien permanent | Commentaires (0)