28/05/2013
Virginie Jaton : la poésie sans concession
Virginie Jaton, "Absence en miroir", "Traces d'instants", Editions Raymon Meyer, (Pully) et « Sur le bruit d’une branche », Peintures de Claire Nicole, Editions Couleurs d’encre (Lausanne)
Virginie Jaton le rappelle de la manière la plus poétique que nous ne sommes pas que des âmes. Nous ressemblons aussi à des arbres. Lorsqu’ils sont coupés de leurs racines leur langage devient mensonge. Il tronque et démembre C'est pourquoi la tentation du silence saisit parfois. Mais c’est là accepter de ne pas avoir de véritable existence.
Contre une telle extinction de voix il faut se battre. Virginie Jaton s’y soumet pour répondre au double problème de l’identité. A savoir le "qui je suis" et le "si je suis". Sa poésie permet de connaître les propriétés physiques du feu des êtres « de bois » et d’en faire éprouver la chaleur, la brûlure comme la cendre. L’auteur laisse sa langue (qui, elle, n’est pas de bois) parler bien au delà de la seule volonté consciente. S'inscrit une avancée subtile en une économie particulière : à un texte succède un autre texte dans un mouvement de volute.
Un tissu précaire, souple, délicat apparaît. En dessous palpite une chair que l'on ne connaît pas ou trop mal. Il faut alors aller chercher chaque fois un peu plus loin dans les mots de Virginie Jaton. On peut s’y aventurer sans crainte car elle a biffé ceux qui immobilisent dans une répétition.
Les siens luttent conte l’illusion de l’apparence et les effets de miroir. Le vide devient un vieux mur où les ongles du soleil se brisent. L’auteur rappelle ainsi la ténuité de l’être. Elle ne dissimule rien du peu que nous sommes mais suggère aussi un certain sentiment extatique de la vie. Sa poésie reste l’« erreur essentielle » qui donne par ses psalmodies voix au silence de l’être et en affronte le secret.
Jean-Paul Gavard-Perret.
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27/05/2013
Zaech : le peintre et ses pernicieux modèles
Giovanni Carmine, “Zaech. The Crossing”, Art&fiction, Lausanne, , 48 pages, CHF 24, € 20, 2013
Avec Zaech la femme égérie n’est plus l’infirmière impeccable de nos identités. « Araignée » ou mante religieuse aux multiples « pattes » - elle travaille le mâle là où son imagination tente d'imaginer encore. La peau féminine comme la toile s’imposent : on croit les reconnaître, s’y reconnaître. Mais de tels écrans immolent, plongent dans l’impasse dont nous ne sommes pas ou jamais sortis. Chez Zaech l’image et la femme ne sauvent pas, ne sauvent plus. L’une et l’autre deviennent les portes infernales où nous ne cessons de frapper avant la nuit. Elles restent pourtant l’autre que nous ne pouvons oublier. C’est pourquoi l’artiste en multiplie les membres et les organes. Néanmoins la femme-déesse en des dédoublements ne se trouve pas privée de son érotisme naturel. Son corps reste séduisant : il nourrit en nous quelque chose de l'ordre d'une chair ou d'un sang que l'on ne connaît pas encore.
Fidèle à sa progression vers de plus en plus de drôlerie mais tout autant de mystère le peintre Stéphane Zaech tient pour dogme le mépris des contraintes naturalistes. Pour lui la femme est le parangon de l'humain. Le mâle n’est qu’un animal, il ne vit que par elle. Pour autant le peintre la traite de manière qui pourrait sembler irrévérencieuse. Il n'hésite pas à multiplier ses bras et ses jambes. Mais ce pour une raison apparemment idolâtre : au milieu des chevalets, des pinceaux, des châssis, seules les femmes peignent. Elles deviennent les portraits sublimés de l’artiste lui-même. Qui donc en effet sinon La Femme pour illustrer les beaux-arts et magnifier la passion pour la peinture ?
L'artiste et ses jouvencelles faussement ingénues réduisent la peau de la psyché à une guenille, une Vanité, un suaire. Surgit soudain le trépas de l’image reflet pour l’apparition d’une autre image plus naïve et sourde dont la femme "plurielle" est le symbole. "The Crossing" devient en conséquence la matière de notre perdition. Nous y poursuivons malgré nous le fantôme d'une histoire où nous sommes exclus tant la femme prend des allures de déités païennes - mais déités tout de même. Zaech ne cherche donc pas à nous sauver. Il a bien mieux à faire : se moquer de celui qui venait chercher dans l'image ce qu'il ne peut trouver mais qui lui remonte sans cesse à la tête.
Jean-Paul Gavard-Perret
14:47 Publié dans Culture, Images | Lien permanent | Commentaires (0)
26/05/2013
Richter-Dahl Rocha & Associés : diptyque architectural
Les architectes de Lausanne Richter - Dahl Rocha achèvent en ce moment à l’extrême nord du Campus de la ville un ensemble unique en Europe. Il est constitué d’un centre de congrès à infrastructure modulable et innovante dont l’amphithéâtre pourra recevoir jusqu’à 2135 places et comptera une quinzaine de salles de réunions. Un bâtiment adjacent de 500 chambres d’étudiants avec commerces, restaurants et services complète l’infrastructure et répondra aux besoins croissants de la communauté EPFL.
Cet ensemble est caractéristique d’une utopie architecturale bien comprise. Richter et Dahl Rocha fidèles à leur philosophie cultivent des avancées formelles et technologiques loin d’une facticité aguicheuse et du pure « façade ». Dans le sillon creusé par leur expérience et leur imaginaire les architectes développent une fois de plus une œuvre qui attire et touche. Elle prolonge la contemplation et le plaisir par l’intelligence. Articuler un bâtiment de prestige (Le Centre de Congrès) et un bâtiment apparemment plus « commun» prouve une volonté de complémentarité et d’harmonie.
Richter-Dahl Rocha refusent donc l’architecture qui cannibalise l’humain au profit de l’effet. Leur projet est à la fois simple et compliqué. L’appel à deux artistes (Catherine Bolle et Daniel Schlaepfer) n’est pas comme trop souvent un alibi superfétatoire Par exemple avec la première créatrice il s’agit d’introduire un symbolisme cosmographique et fractal dans le bâtiment d’habitation par l’intervention subtile de plus de 800 panneaux teintés puis peints afin de produire une vision macrocosmique du monde dans un jeu de « repons » entre Est et Ouest, Sud et Nord.
Tout dans ce projet renforce l’idée que l’architecture est réactive et « métaboliste » ou n’est rien. Les deux créateurs l’ont bien en jouant de deux propos significatifs : tandis qu’un bâtiment fend l’air de son étrave l’autre protège. L’ensemble respire parfaitement et suggère à la fois l’idée d’innovation et de paix. Dans ce diptyque l’imaginaire ne renonce pas à franchir des seuils mais reste au service d’harmonies complexes. Plis et ruptures, jeux de couleurs font que les deux bâtiments se regardent et se complètent. Par le passage d’un lieu à l’autre, d’un moment à l’autre l’espace y devient temps. En ce sens aussi un tel projet fera date.
Jean-Paul Gavard-Perret
crédit photographique richterdahlrocha.com, ccra graetzel epfl.
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