01/11/2020
Valère Novarina : qui sont les ombres ? ou comment prolonger l'ivresse des temps

Les fantômes sortis des enfers, une fois l'Achéron retraversé, tout se produit par les truchements de "passes" et passages où le théâtre devient aussi comique que tragique au sein d'un langage qui lui aussi se transforme en une créature hybride et effrontée. Cela ne date pas d'hier chez le dramaturge. Le drame humain (en son animalité même) est la comédie des mots. Ils grouillent au sein même de leur réincarnation en entrelacs, anagrammes, acrostiches, monocondyles, etc., pour brûler les frontières des temps comme du corps et de l'esprit. Le théâtre n'est plus habité de mots, ce sont eux qui l'habillent et tout autant le mettent à nu à travers des inventions centrifuges en une "affection" généralisée. La pièce devient l'endroit où danse la langue et où se consume la mort dans une irradiation vertigineuse.
Les personnages veillent à la naissance d'autre chose là où l'animal humain avec sa voix tente de reconquérir une force sacrificielle au moment où les esprits parlent. Existe là un voyage farcesque au bord du vaisseau fantôme de langue. Celui-ci dérive sur le plateau chahuté par tous les revenants. Ils flottent plus à accords perdus qu'en bouées de corps morts. La dématérialisation de l'être via les ombres n'est là que pour sauver l'envie d'exister dans cette polyphonie puissante du langage au moment où Novarina reste poète et philosophe. Il enrichit la connaissance par une langue confondante où se gueule ce qui jusque là était resté dans le silence de mort de l'enfer ou des bas-fonds de l'inconscient.
Jean-Paul Gavard-Perret
Valère Novarina, "Le jeu des ombres", P.O.L éditions, Paris, 2020, 272 p., 17 E..
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